Le fonds Jean Porcher : Un témoignage précieux des activités d’un conservateur et d’un historien d’art renommé
Le monde des bibliothèques et de la recherche fut marqué en 1963 par le départ à la retraite de Jean Porcher (1892-1966) après quarante années de service à la Bibliothèque nationale. Entré en 1923 au sein de cette vénérable institution, Jean Porcher, chartiste – promotion 1921 – et membre de l’École française de Rome, effectua la totalité de sa carrière rue de Richelieu occupant successivement divers postes aux départements des Imprimés, des Périodiques, des Entrées et des Manuscrits, qu’il dirigea de 1945 à 1963. D’abord bibliothécaire, ensuite conservateur et finalement conservateur en chef, il mena de front des activités de bibliothéconomie, de chercheur et de vulgarisateur en histoire de l’art. Ainsi, à une passion prononcée pour l’organisation d’expositions et la tenue de conférences à travers l’Europe et les États-Unis, Jean Porcher allia-t-il un enthousiasme certain pour la rédaction de nombreux articles et la composition d’ouvrages, collectifs ou individuels, qui témoignent de ses qualités d’érudit.
Après son décès, ses documents d’archive furent conservés au département des Manuscrits et complétés par un don familial. Répartis dans une soixantaine de boîtes, ces documents restèrent en l’état jusqu’en 2020, date à laquelle la direction du département des Manuscrits décida de les classer et de les inventorier afin de les mettre à la disposition du public via un inventaire détaillé dans BnF Archives et manuscrits sous la cote NAF 29015.
À l’heure d’Internet et des bases de données qui ont profondément modifié notre rapport à la recherche, les documents d’archives de Jean Porcher ramènent lecteurs et chercheurs à une époque révolue durant laquelle l’érudition reposait d’abord et essentiellement sur la prise de notes manuscrites. Griffonnées sur des feuilles de 21 x 13,5 cm, vierges mais aussi usagées rappelant ainsi à quel point le papier était précieux, ces notes en vrac donnent un premier aperçu de l’activité scientifique de Jean Porcher.
Ainsi, l’ouverture successive des différentes boîtes révéla-t-elle un amoncellement d’innombrables notes empilées que complétaient des coupures d’articles de journaux ou des extraits de livres dépecés. Relevons aussi de nombreuses photographies en noir et blanc et des négatifs qui témoignent au fil des années de l’évolution des méthodes de recherches. En effet, Jean Porcher privilégia peu à peu la photographie à la copie manuscrite de textes extraits d’ouvrages du Moyen Âge, de la Renaissance et des siècles suivants. La photographie remplaça aussi la reproduction manuelle effectuée par le biais de dessins d’enluminures et de gravures et se substitua à la technique du frottis utilisée pour la reproduction de reliures précieuses des XVIe et XVIIe siècles.
La consultation de ces boîtes et l’analyse de leur contenu ont permis de compléter nos connaissances relatives à Jean Porcher et ont assuré une meilleure compréhension de ses multiples centres d’intérêt. Le dépouillement de ces documents a par ailleurs complété ce que nous savions quant à ses activités administratives au sein de la Bibliothèque nationale ou occasionnées lors d’échanges effectués dans le cadre de ses recherches ou de la préparation d’expositions.
Conservateur à la Bibliothèque nationale durant toute sa carrière, Jean Porcher développa une prédilection pour l’histoire de cette institution. Ainsi, ce fonds conserve-t-il un ensemble de copies manuscrites de textes, de lettres et de témoignages relatifs à l’histoire et au fonctionnement de la Bibliothèque du Roi. Signalons aussi des notes sur certains départements comme celui du « Cabinet des planches gravées du Roi » ou bien encore des copies de notes administratives en particulier liées au personnel. Copiées sur des feuilles volantes par Jean Porcher ou par ses collaborateurs, les notes sur la Bibliothèque du roi ont notamment été relevées au sein d’ouvrages comme celui de Paul Bonnefon, Correspondance de Jean-Baptiste Rousseau et Brossette, et de l’ouvrage de Germain Brice, Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville de Paris. À partir de ses recherches sur l’histoire de la Bibliothèque nationale, Jean Porcher publia un article, La bibliothèque du Roi, rue Vivienne, extrait de « Paris et Île-de-France. Mémoires » (tome 1, 1949).
Mais pour Jean Porcher, le centre de ses activités scientifiques fut d’abord le Moyen-Âge avec une propension toujours renouvelée pour l’étude des arts carolingien, roman et gothique. Ses recherches historiques furent avant tout ciblées sur l’enluminure. En effet, une note sur l’architecture carolingienne ou la photographie d’une lettrine historiée devinrent irrémédiablement un support qui lui permettait de réfléchir sur l’iconographie. Parmi les documents d’archive exhumés et répertoriés, figure au premier rang la constitution de bibliographies. Ainsi pour la décoration des manuscrits de la période romane, plusieurs dizaines de notes bibliographiques ont été établies. Ces références ont pu être regroupées par le biais d’un classement à la fois thématique et géographique. En consultant l’inventaire informatisé des documents d’archives Jean Porcher, le lecteur découvrira une pochette « Roman généralités » suivie par un ensemble d’autres pochettes relatives à des régions – Est, Nord, Flandres, Occitanie… – ou concernant des provinces et des villes – Province de Sens, Crépy, Hesdis, Igny… – au sein desquelles fleurit l’art des XIe et XIIe siècles. Fin connaisseur de l’art roman hexagonal, Jean Porcher fut aussi un admirateur et un spécialiste de l’art roman européen avec un attrait particulier pour l’Italie dont il aimait parcourir les chemins des régions méridionales. Cette passion pour l’art roman italien, allemand ou britannique donna lieu à de nombreuses recherches comportant, là encore, des bibliographies détaillées.
Dans une écriture cursive, de temps à autre difficile à lire, ces notes comprennent des références de livres – auteur(s), titre, édition et date – et d’articles de périodiques – auteur(s), titre de l’article, titre du périodique et date. Rédigées avant ou après la Seconde Guerre mondiale, ces notes comportent des recensions d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger, datant du XIXe siècle ou de la première moitié du XXe siècle. Ainsi, ce dépouillement a-t-il permis d’apprécier à sa juste valeur les connaissances bibliographiques de Jean Porcher et sa méthode utilisée pour sélectionner tel ou tel ouvrage. Il est parfois délicat de déterminer la finalité précise de ces innombrables bibliographies. Pourtant sur certaines d’entre elles, des indications, souvent abrégées, telle « carol. » (carolingien), « enlum. » (enluminure), « All. » (Allemagne) permettent de saisir la démarche du savant qui souhaitait approfondir un domaine précis de ses connaissances.


Une autre partie de cet ensemble de bibliographies mérite d’être mentionnée et concerne des références sur des artistes de la fin du Moyen-Âge tels Jean Colombes (1430-1493), le Maître de Jouvenel (actif 1447-1460), le Maître de Rohan (actif 1410-1465)… Ces notes qui comportent des références d’ouvrages et d’articles de périodiques ont été utiles à Jean Porcher pour nourrir d’exemples ses recherches et publications relatives à ces peintres.

Ajoutons de nombreuses bibliographies sur des thèmes iconographiques circonscrits – « Arbre d’alliance », « Genèse », « grotesques », « Invention de la Croix » etc. – qui témoignent là encore de la diversité et de la précision des recherches de Jean Porcher. Enfin, une dernière catégorie de bibliographies concerne des ouvrages et périodiques qui comportent des pages et des articles relatifs à des manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale ou appartenant à des collections d’autres bibliothèques françaises ou étrangères.
Cet attachement à la science iconographique est inscrit au sein d’un mouvement qui remonte au début du XIXe siècle. Ainsi dès les années 1830, les manuscrits illustrés bénéficièrent-ils d’une curiosité accrue comme en témoignent les travaux d’Auguste Bastard d’Estang (1792-1883) parmi lesquels figure la série Peintures et ornements des manuscrits, classés dans un ordre chronologique publiée entre 1835 et 1869. À la suite de Bastard d’Estang, Léopold Delisle (1826-1910) poursuivit l’étude de la miniature à travers des articles et des expositions. Dans le sillage de Bastard d’Estang, de Delisle, de Paul Durrieu (1855-1925) et de bien d’autres, Jean Porcher continua et développa des recherches relatives aux manuscrits peints en procédant notamment à l’identification d’artistes qui illustrèrent ces ouvrages. La soixantaine d’articles sur des enlumineurs, publiés entre 1945 et 1962, et les deux ouvrages : L’Enluminure française (1959) et Manuscrits à peintures de l’Empire carolingien (1969), mentionnés par André Masson au cours de sa nécrologie1, confirment l’apport de cet érudit quant à une connaissance approfondie de l’iconographie.
Féru de recherches artistiques et historiques couvrant plusieurs siècles, Jean Porcher s’adonna aussi à l’étude littéraire. En effet, maints documents conservés au sein de différentes boîtes révèlent une passion pour l’histoire de la littérature que viennent confirmer plusieurs de ses articles. Ainsi, un ensemble de notes manuscrites montre-t-il un intérêt évident pour des auteurs médiévaux tels Vincent de Beauvais (circa 1184-1264) ou Nicolas Trivet (1258-1238). Mais ces investigations ne se bornèrent pas qu’au Moyen-Âge et intégrèrent l’étude d’auteurs de l’Antiquité classique notamment Virgile régulièrement associé à Dante et à son œuvre. Latiniste et helléniste confirmé, Jean Porcher montra une curiosité à l’égard d’auteurs et de philosophes antiques. Enfin on ne saurait oublier ses affinités avec la littérature de la Renaissance, italienne en autres, qu’il découvrit avec Abel Lefranc (1863-1952).
Médiéviste chevronné, Jean Porcher étudia aussi le russe à l’École des langues orientales au cours des années 1920. Cette connaissance de la langue russe incita les pouvoirs publics de l’époque à lui confier en 1930 une mission en Russie afin d’enquêter sur certaines bibliothèques de Moscou et de Leningrad. Durant son séjour, il repéra de nombreux ouvrages français intégrés aux collections des grandes institutions slaves. Par ailleurs, Jean Porcher identifia et copia des documents retraçant les échanges culturels de la Russie et de Pierre le Grand avec la France.
Une autre mission représente le point de départ d’une évolution notoire quant aux méthodes de consultations et de recherches paléographiques et iconographiques. En effet de 1948 à 1953, Jean Porcher effectua des campagnes photographiques en collaboration avec l’Institut de recherche d’histoire des textes (IRHT). Ce projet se déroula sur plusieurs années au cours desquelles notre savant réalisa des photographies de codices comportant aussi bien du texte que des images. Sous la rubrique « Campagnes photographiques de manuscrits 1948-1953 », le lecteur se familiarisera avec maints documents conservés permettant de comprendre les enjeux liés à ce mode de duplication novateur. Correspondance avec le CNRS, factures d’essence ou listes d’ouvrages à reproduire sont autant de pièces qui témoignent de la démarche retenue, mais aussi des contraintes imposées par ce nouveau rapport au savoir. La photographie partielle ou intégrale de manuscrits augurait un bouleversement considérable vis-à-vis de la fréquentation du patrimoine écrit et pictural. Ainsi, un lectionnaire du XIe siècle ou un livre d’heures de la Renaissance ne forment-ils plus tout à fait une entité unique mais deviennent un original simultanément consultable par plusieurs institutions. D’une certaine façon à partir de ce projet inédit, Jean Porcher a pressenti la bibliothèque virtuelle dont les documents n’appartiennent plus seulement à une collection particulière mais deviennent, par le biais de l’image, des sources à voir et à étudier par l’ensemble des chercheurs et ce quel que soit le lieu de leur conservation.
Érudit hors pair reconnu internationalement, Jean Porcher aimait partager son savoir. Parmi les nombreuses expositions dont il fut commissaire, trois d’entre elles marquèrent profondément le public : « L’art Roman à Saint-Martial de Limoges » (1950), « Les manuscrits à peintures en France du XIIIe au XVIe siècle » (1954-1956) et « Byzance et la France médiévale » (1958). Pour chacune de ces expositions, ce fonds conserve un ensemble de documents précieux. Notons tout d’abord des relevés de cotes d’ouvrages, français ou étrangers, qui forment des listes à partir desquelles les documents exposés ont été sélectionnés. Vient ensuite la correspondance écrite qui traite des conditions de prêts – assurances, détails sur la durée du prêt, sur le transport de la pièce empruntée… Ces informations permettent de découvrir et de comprendre la conception d’une exposition durant les années 1950. Enfin, les documents d’archives attachés à l’exposition « Les manuscrits à peintures en France du XIIIe au XVIe siècle » comprennent une quantité d’articles de périodiques qui forme un témoignage éloquent pour connaître la réception d’une exposition. Presse nationale et régionale, journaux savants ou populaires, autant de médias dont les comptes rendu donnent une idée de l’accueil et de l’écho d’une manifestation parisienne.
Promoteur d’expositions mémorables, Jean Porcher fut aussi un conférencier brillant et participa à de nombreux colloques nationaux et internationaux mais aussi anima des conférences en région et à l’étranger. À côté des colloques « Byzance et la France médiévale » (septembre 1958) ou « Peintre anglais et français de l’époque romane » (Manchester 1958), la conférence « Très belles heures » de Jean de Berry (1958) et les « Tournées de conférences de M. Jean Porcher en Grande-Bretagne » (1961) illustrent cette générosité à communiquer ses travaux à d’autres chercheurs comme à un public néophyte. Parmi les documents conservés, la présence d’une correspondance, relativement volumineuse, révèle l’importance des échanges entre savants au cours des années 1950-1960. En effet, au fil de la lecture de ces activités épistolaires, le lecteur appréhendera un ensemble de contacts internationaux avec des universitaires, des directeurs de musées et de bibliothèques, des historiens de l’art qui marquèrent leur époque. Par ailleurs, pour plusieurs de ces manifestations savantes, ont été conservés des prospectus sur lesquels figurent la liste des intervenants et des thèmes communiqués. Ainsi, l’ensemble de ces documents d’archive apporte-t-il un éclairage original sur la recherche en histoire de l’art pour la période allant de l’après-guerre au milieu des années 1960.
Reste à évoquer les documents d’archive relatifs aux activités bibliothéconomiques de Jean Porcher. Essentiellement composés de courriers internes et externes, ces contacts écrits révèlent un souci permanent attaché à l’enrichissement des collections patrimoniales et suggèrent une passion innée pour la bibliophilie. Les courriers échangés avec Maurice de Rothschild et liés à la collection du docteur Lucien-Graux participèrent des échanges professionnels et amicaux de Jean Porcher. Plus tard, les liens tissés avec la famille Rothschild et le docteur Lucien-Graux favorisèrent l’entrée de manuscrits et d’imprimés ayant appartenu à leur bibliothèque respective dans les collections du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale.
Abondantes et diversifiées, les différentes parties de ce fonds forment un témoignage irremplaçable sur la carrière et la personnalité de Jean Porcher. Ainsi, son analyse et son classement ont-ils dévoilé l’activité professionnelle d’un conservateur de bibliothèque et d’un chercheur en science humaine hors pair, qui aimait communiquer ses multiples découvertes à d’autres savants, à un public de non-initiés ou à travers des expositions remarquables.
De nos jours, quels peuvent bien être la valeur et l’intérêt d’un fonds d’archives dont le contenu propose une illustration de tâches scientifiques et administratives remontant à une période allant des années 1920 à 1960 ?
De prime abord, la bibliographie surannée appartient, semble-t-il, à une époque révolue de la recherche médiévale. En effet depuis lors, la paléographie, l’iconographie et la codicologie ont accompli des avancées considérables. Pourtant, ces documents sont aussi le reflet d’un état de la recherche à une période donnée. En effet, une lecture critique des ouvrages et articles recensés sur ces notes permettrait sans doute de connaître les raisons et la démarche qui ont motivé tel ou tel chercheur à étudier une facette particulière de l’art carolingien ou à décrypter la richesse d’un manuscrit du XIIe siècle. Par ailleurs, qui peut réellement affirmer que la consultation de ces études, rédigées au XIXe siècle ou durant la première moitié du XXe, n’apporterait pas un regard et une réflexion susceptibles d’éclairer les recherches actuelles ? En tout état de cause, un dépouillement approfondi de ces bibliographies ne serait pas inintéressant à réaliser et permettrait de mieux saisir l’approche et la réflexion de Jean Porcher quant à l’étude d’un manuscrit ou d’une époque artistique. Ces nombreuses bibliographies manuscrites représentent une entité remarquable et appartiennent de plein droit à l’historiographie.
Si les documents de la mission russe permettent entre autres de consulter la copie de lettres de Pierre le Grand (1672-1725), la « Campagne photographique de manuscrits 1948-1953 » donne un aperçu quant à la création d’une première bibliothèque virtuelle. De leur côté, les courriers administratifs reflètent les activités bibliothéconomiques qui incombaient à un responsable de bibliothèque. Ainsi, l’étude des documents d’archive laissés par Jean Porcher représente-t-elle une approche précieuse pour comprendre la recherche en histoire de l’art durant la première partie du XXe siècle.
Différent et complémentaire de connaissances biographiques qui permettraient de retracer le parcours professionnel et la vie privée de Jean Porcher, ce fonds n’en demeure pas moins un apport fondamental pour découvrir et intégrer le cheminement intellectuel d’une figure majeure du monde des bibliothèques et de l’histoire de l’art.
Bibliographie sommaire
André Masson, « Jean Porcher (1892-1966) », Bibliothèque de l’École des chartes, n° 127/2, 1969, p. 521-525.
Marie-Louise Concasty « Nécrologie Jean Porcher (1892-1966) » Cahiers de civilisation médiévale, pp. 275-277.
Pierre Josserand « Jean Porcher (1892-1966) » Bulletin d’informations de l’ABF, n° 53, 1966, p. 247-249
« Essais en l’honneur de Jean Porcher : études sur les manuscrits à peintures » publiées sous la direction de Otto Pächt. Paris : Gazette des Beaux-Arts, 1963.
- André Masson, « Jean Porcher (1892-1966) », Bibliothèque de l’École des chartes, n° 127/2, 1969, p. 521-525. [↩]
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François AUZEIL (3 juillet 2025). Le fonds Jean Porcher : Un témoignage précieux des activités d’un conservateur et d’un historien d’art renommé. Carnet de recherche. Consulté le 17 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/149pk