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Sur les traces du jeune public dans les archives du festival Off d’Avignon

Charly André Guibaud est chercheuse associée au département des Arts du Spectacle, au sein de l’antenne avignonnaise de la Maison Jean Vilar. Sa mission consiste à effectuer un pré-catalogage et à valoriser une partie du fonds PFAO, constitué des archives du festival Off d’Avignon pour la période 2000-2005.

Né à la fin des années 1960, sous l’impulsion d’André Benedetto, le festival Off d’Avignon s’est développé de manière exponentielle et constitue aujourd’hui un véritable marché du spectacle vivant, dans lequel toutes les disciplines, pour tous les publics, viennent se (re)présenter. Les spectacles jeune public ne font pas exception : timidement présents dans les premiers temps, ils ont peu à peu trouvé une reconnaissance durable et constituent depuis des années maintenant 10 à 12% de la programmation chaque été.

Cependant, si l’histoire du Off et de ses publics est aujourd’hui bien documentée par les archives et les recherches qui les exploitent, le jeune public reste un angle mort. On sait peu de choses sur les spectacles pour enfants présentés au Off, et encore moins sur les publics qu’ils attirent. Une plongée dans les archives du festival Off, collectées et conservées à la Maison Jean Vilar à Avignon, permet néanmoins d’en découvrir un panorama.

Le jeune public au festival Off d’Avignon

Soulignons pour commencer les quelques occurrences — pour l’essentiel chiffrées — du jeune public au festival Off dans les sources déjà existantes.
L’enquête sur les publics de Quentin Amalou et Damien Malinas1 fait l’impasse sur les moins de 15 ans. Elle souligne cependant l’importance de la venue en famille et de la transmission intergénérationnelle dans les pratiques des spectateurs et spectatrices, une modalité déjà présente dans des enquêtes précédentes. En 1990, Anne-Marie Green mentionnait que les 18-25 ans représentaient près d’un tiers du public2, un chiffre en nette baisse dans les années suivantes : dans l’enquête de Paul Rasse en 20033, les moins de 25 ans représentent 20,5 %, et celle de Quentin Amalou et Damien Malinas établit la proportion des moins de 30 ans à 9 % en 2017.
Notons que, des trois enquêtes, seule celle de Paul Rasse évoque une donnée se rapprochant du jeune public : dans la catégorie socio-professionnelle des personnes inactives, elle dénombre 5,7 % de collégiens et collégiennes ou lycéens et lycéennes, ainsi que 10 % d’étudiants et étudiantes.
Certains ouvrages mentionnent, pour les années auxquelles ils s’intéressent, le nombre de spectacles destinés au jeune public. Dominique Darzacq fait état de sept spectacles « pour enfants » parmi les 145 présentés au festival Off en 19804 ; en 1990, selon Anne-Marie Green, ce sont 16 « spectacles pour enfants (clowns, marionnettes) » qui sont proposés sur un total de 350. En 2007, les États généraux du Off signalent un total de 856 spectacles, dont 102 inscrits dans la catégorie « publics en famille » du programme5. La liste chiffrée qui accompagne Les Chroniques du Off de Nicolas Maury en 20096 recense 957 spectacles, dont 112 sous le label « en famille ».
Il faut ramener ces chiffres à une forme proportionnelle pour permettre une comparaison. La part des spectacles jeune public dans l’ensemble de la programmation est d’un peu moins de 5 % en 1980, tout comme en 1990 (4,5 %). Elle atteint 12 % en 2007 et presque autant en 2009, mais chute à nouveau sous les 10 % dix ans plus tard. Dans l’ensemble, on observe néanmoins une augmentation de plus du double entre les premières années du festival Off et la période contemporaine. Aujourd’hui, et ce depuis au moins une quinzaine d’années, le nombre de spectacles jeune public se stabilise entre 10 et 12 % de l’ensemble de la programmation.

Aucune étude, en revanche, ne nous permet de savoir ce que sont ces 10 à 12% de spectacles jeune public : à quelle discipline appartiennent-ils ? à quelle tranche d’âge s’adressent-ils ? qui sont leurs créateurs et créatrices ? d’où viennent-ils ?

La lecture des programmes du festival Off, année après année, nous apporte quelques indications factuelles comme pour tous les spectacles qui y sont mentionnés. Certaines années7, la présence en fin de programme d’une liste regroupant les spectacles labellisés jeune public offre un aperçu synthétique, classé par tranches d’âge visées : celles-ci vont de la petite enfance à la préadolescence. Mais ce fonctionnement par label, que chaque compagnie choisit d’attribuer ou non à son spectacle, présente un biais pour la recherche : il efface les spectacles adressés au jeune public mais dont les compagnies n’ont pas souhaité prendre le label, et notamment ceux susceptibles de convenir aux adolescents et adolescentes. L’étude de la production jeune public au Off ne peut donc prétendre à l’exhaustivité, et doit se restreindre à ce que la structure du festival permet d’identifier.

Le dépouillement des archives du Off à la BnF

En complément des programmes, qui ne peuvent constituer qu’une porte d’entrée dans le sujet, précieuses sont les archives collectées par la BnF à Avignon. Chaque été, une enveloppe est remise aux compagnies présentes au festival Off pour les inciter à déposer tract, dossier de presse, affiche, et tout autre document pouvant constituer une archive de leur spectacle. L’ensemble est ensuite catalogué sous la cote PFAO, et enrichi des articles de presse parus dans la presse locale au sujet de chaque spectacle, lorsqu’il y en a. Pour la grande majorité des spectacles, on pourra donc retrouver a minima un tract, attestant de sa présence effective à Avignon.

Cependant, le tract d’un spectacle apporte généralement peu d’informations supplémentaires par rapport au programme. On y retrouve, aux côtés des informations pratiques (lieu et horaire, rarement la durée du spectacle), un court pitch qui est souvent celui inscrit au programme. Bien qu’il s’agisse d’un objet de communication visuelle, son esthétique n’est pas forcément représentative de celle du spectacle. Par ailleurs, la spécificité d’une communication pour un spectacle jeune public est de pouvoir s’adresser soit à l’enfant, soit à son parent ou accompagnant. On trouve donc des tracts plutôt destinés aux premiers, souvent illustrés, et d’autres adressés aux seconds dans lequel le texte domine. Dans de rares cas, le tract présente une fonction ludique pour attirer l’attention de l’enfant : masque de Guignol8, cocotte en papier9, sont des formats originaux qui se démarquent au milieu de dizaines de propositions.
Mais pour la recherche, l’archive est véritablement intéressante quand elle contient d’autres documents que le tract, en particulier lorsque sont présents des dossiers. Trois types de dossier sont susceptibles d’être versés par les compagnies : le dossier artistique du spectacle, son dossier de presse, et le dossier pédagogique. Ce troisième est la ressource la plus précieuse pour étudier un spectacle jeune public, mais également la plus rare dans les archives du festival Off. En effet, le contexte de l’événement se prête peu à la rencontre entre les équipes artistiques et pédagogiques. Les compagnies ne réalisent pas de rencontres scolaires à cette occasion, et ne se munissent donc que rarement du dossier spécifiquement dédié aux enseignants et enseignantes. Quand il est présent en PFAO, le dossier pédagogique permet pourtant d’éclairer le spectacle d’une manière inédite. Non seulement il contient souvent des extraits du texte, voire des photographies du spectacle, permettant d’en apprécier le style et l’esthétique, mais il fournit des ressources sur les objectifs artistiques. Le dossier pédagogique permet d’analyser le discours artistique d’un spectacle à destination des enfants, les techniques auxquelles ont recours les artistes pour s’adresser à ce public spécifique, et ce qu’ils et elles souhaitent leur transmettre. Le dossier artistique, type de dossier le plus représenté dans les archives du festival Off, car il est destiné aux programmateurs et programmatrices qui viennent à la rencontre des compagnies dans le cadre de l’événement, dit souvent bien moins sur le lien entre le spectacle et son public.

L’analyse de ces archives, si elle ne peut entrer dans le détail de chaque spectacle, offre cependant une vue d’ensemble assez riche de ce qui est proposé au jeune public dans le cadre du festival Off, et de la manière dont cette proposition évolue sur les plans thématique et esthétique au fil des éditions. Il est donc possible de dépasser la simple analyse quantitative, pour s’intéresser à un volet qualitatif. On remarque notamment une surreprésentation des adaptations de contes qui se maintient dans le temps, tandis que d’autres formes sont plus éphémères : ainsi des spectacles qui présentent des questions sociales aux enfants, et dont les sujets changent donc au gré de l’actualité. Enfin, on peut noter une forte hybridité générique au sein de la programmation, toutes les disciplines trouvant une voie pour s’adresser au jeune public.

L’apport inédit du fonds Alain Léonard

Au-delà de la collecte des archives du festival Off, l’antenne avignonnaise de la BnF a également vocation à conserver des fonds privés qui lui sont donnés, et qui viennent compléter l’histoire du théâtre à Avignon. C’est notamment le cas du fonds Alain Léonard, directeur de 1982 à 2004 d’Avignon Public Off, la première association de coordination de l’événement. Le fonds, qui n’a pas encore bénéficié d’un inventaire détaillé, contient pour l’essentiel des documents administratifs liés à la gestion du festival Off10. Outre de nombreuses factures et correspondances, on y trouve les bilans annuels d’Avignon Public Off, qui apportent occasionnellement des informations inédites sur la présence du jeune public.
Ces bilans mentionnent notamment, pour l’ensemble des spectacles présentés chaque année au Off, la part de chaque genre, ce qui permet de compléter les sources chiffrées déjà établies. On constate ainsi que, jusque dans les années 1990, la catégorie « jeune public » est considérée comme un genre, au même titre que le théâtre musical ou la danse. Au milieu des années 1990, la manière de répartir les spectacles est modifiée : le jeune public devient une catégorie à part entière, au sein de laquelle peuvent figurer plusieurs genres (conte, marionnette, danse, etc.). Un spectacle de danse pour enfants, par exemple — auparavant classé dans le genre « danse » et donc absent de la catégorie « jeune public » — peut alors se retrouver dans cette nouvelle catégorie, avec la précision de son genre. Ainsi, même si le nombre total de spectacles jeune public reste stable, le fait de ne plus le considérer comme un genre fait artificiellement augmenter sa proportion pendant un certain temps. L’étude de ces bilans apporte donc un éclairage sur les importantes variations de proportions constatées dans les différentes enquêtes sur le Off.

Sur le plan qualitatif, les archives d’Alain Léonard permettent de rendre compte de l’intérêt grandissant des responsables du festival Off pour le jeune public. Le seul déplacement typologique d’un genre vers une catégorie en souligne déjà la meilleure compréhension. Mais le fonds Alain Léonard contient également des documents de préparation du festival dans lesquels on peut observer les sujets pressentis pour les rencontres organisées à la Maison du Off. Le premier événement de ce type dédié aux questions de jeune public apparaît en 1990 : il s’agit d’une rencontre avec des auteurs et autrices pour la jeunesse et des compagnies venues présenter un spectacle pour enfants11. Ces rencontres se reproduisent à plusieurs reprises dans les années suivantes. Certaines rencontres sont thématisées, preuve d’une volonté de développer une réflexion collective sur la production jeune public. Ainsi, en 2002, on trouve la trace d’une double rencontre jeune public le 07 juillet sur les thématiques « L’adaptation du conte au théâtre » et « La participation des enfants au spectacle »12.
Enfin, le fonds Alain Léonard permet d’enrichir quelque peu la revue de presse présente en PFAO, grâce à des articles de presse nationale conservés par le directeur d’Avignon Public Off. On trouve notamment un article paru dans le cahier parental de Toboggan, une revue pour les enfants en bas âge, en juillet 1990, qui donne des clés aux parents pour emmener leurs enfants découvrir du théâtre dans la frénésie du Off13.

 

Ainsi, bien qu’incomplètes car soumises à la bonne volonté des compagnies qui les déposent, les archives du festival Off que collecte et conserve la bibliothèque de la Maison Jean Vilar offrent un large aperçu de l’histoire du jeune public au cours de l’événement. Il est aisé de dépasser les indications chiffrées pour s’intéresser aux représentations et aux enjeux qu’elles cachent, et comprendre comment la production jeune public est devenue majeure dans la programmation du Off.

 

 

  1. Quentin Amalou et Damien Malinas, Faire le OFF : sociologie des publics du Festival OFFd’Avignon, Avignon : Éditions universitaires d’Avignon, coll.« Entre-vues », 2019. []
  2. Anne-Marie Green, Le Festival d’Avignon off vingt ans après, La Garenne-Colombes : Éd. de l’Espace européen, coll.« Méthodes & faits sociaux », 1991. []
  3. Paul Rasse et Catherine Benzoni-Grosset, Le théâtre dans l’espace public, Avignon off, Aix-en-Provence : Edisud, 2003. []
  4. Dominique Darzacq, Off 1980, Paris : Ministère de la Culture, 1981. []
  5. Greg Germain et Christophe Galent, États généraux du off : 3 décembre 2007, Colleville : Éd. Noÿs, 2008. []
  6. Nicolas Maury, Chroniques du off : manuel de survie avignonnais, La Rochelle : Alna éd, 2010. []
  7. C’est le cas entre 1987 et 2003, entre 2007 et 2009 sous l’appellation « en famille », puis de nouveau depuis 2017. []
  8. Tract du spectacle Le petit monde de Guignol, mise en scène Jean-Daniel Laval pour la Compagnie de la Reine. Présenté au festival Off d’Avignon en 2003 au théâtre La Luna. Conservé par la BnF sous la cote PFAO-2003 (63) []
  9. Tract du spectacle Du rififi dans le potager, mise en scène Valérie Lecoq pour la compagnie Piano à pouces. Présenté au festival Off d’Avignon en 2003 au Collège de la Salle. Conservé par la BnF sous la cote PFAO-2003 (30) []
  10. Non catalogué, le fonds est actuellement identifié par la cote 4-ACOL-7. []
  11. Fonds Alain Léonard, BnF, 4-ACOL-7 (10). []
  12. Fonds Alain Léonard, BnF, 4-ACOL-7 (11). []
  13. Sophie Lagrange, « Festival OFF d’Avignon, mode d’emploi », in Toboggan (cahier central), n°116, juillet 1990. Conservé par la BnF dans le fonds Alain Léonard sous la cote 4-ACOL-7 (10). []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Charly André Guibaud (20 juin 2025). Sur les traces du jeune public dans les archives du festival Off d’Avignon. Carnet de recherche. Consulté le 17 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1469q


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