Au service de psychiatrie infanto-juvénile de l’hôpital de Castelluccio (Corse), la vidéo comme pratique institutionnelle à visée thérapeutique
La BnF accueille tous les ans des chercheurs associés qui conduisent un travail au plus près de ses collections. Juliette Naviaux, chercheuse associée au service vidéo mène un projet sur le Festival Psy de Lorquin : pratiques et usages de l’image animée en psychiatrie.
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Le centre hospitalier de Castelluccio, construit sur le site d’un ancien bagne napoléonien, héberge une population de malades psychiatriques et de grands déficients mentaux depuis le milieu des années 1970. Il s’agit du premier hôpital psychiatrique de Corse. Les patients corses sont, jusqu’à l’ouverture de l’hôpital de Castelluccio, pris en charge dans des dispensaires d’hygiène mentale puis transférés par bateau à l’hôpital psychiatrique de Montpellier.
Un service audiovisuel hospitalier porté par des soignants
À l’ouverture du service de psychiatrie infanto-juvénile de l’hôpital de Castelluccio, son médecin-chef, Claude Caron, fait une demande un peu particulière : il souhaite que le service soit équipé d’un studio d’enregistrement audiovisuel. Claude Caron a vraisemblablement un intérêt pour l’image animée depuis ses études de médecine, qu’il effectue à Lyon au début des années 1960. Il fait ses études en même temps qu’un autre psychiatre féru d’images, Gérard Bléandonu, qui publie en 1986 un ouvrage intitulé La vidéo en thérapie. Le choc de l’image de soi dans les soins psychologiques. Le matériel d’enregistrement audiovisuel commandé par Claude Caron est finalement peu utilisé les premières années et c’est à l’arrivée en 1979 de Philippe Gandolfo, infirmier en stage, que le studio audiovisuel du service infanto-juvénile commence à vraiment fonctionner. À la fin des années 1970, Philippe Gandolfo ne se destine pas à la psychiatrie. Il prépare son diplôme d’infirmier diplômé d’Etat et arrive en stage en psychiatrie un peu par hasard alors qu’il souhaite, après ses études, intégrer le SAMU d’Ajaccio nouvellement créé. Issu d’une famille où on aime filmer la vie quotidienne, Philippe Gandolfo trouve sa place dans le service grâce au studio audiovisuel, dont il devient rapidement le référent.
L’audiovisuel pour créer des supports de formation médicale
Au cours de la décennie 1980, Philippe Gandolfo, qui est embauché à l’issue de son stage, se consacre presque intégralement à la réalisation de films dans le service. Claude Caron, convaincu de l’intérêt de l’audiovisuel dans la formation médicale, lui demande dans un premier temps de réaliser des supports de formation. Philippe Gandolfo filme alors les formations que Claude Caron délivre à l’hôpital et réalise des vidéos de présentation du service qui servent à l’intégration des nouveaux soignants dans l’équipe.
Au Festival Psy de Lorquin, la reconnaissance du travail du service
Au tournant des années 1980, le docteur Caron, qui a entendu parler du Festival Psy de Lorquin[1], incite Philippe Gandolfo à réaliser un film à soumettre au festival mosellan. Gandolfo se prête à l’exercice et réalise alors le film Nous sommes petits, on nous dit très arriérés et nous vivons à Castelluccio. Le film montre, sans voix off, la vie quotidienne de l’étage accueillant les enfants lourdement handicapés. Seul le son de Shine On You Crazy Diamond, des Pink Floyd, accompagne le spectateur tout au long de ce film d’une quarantaine de minutes. L’équipe de Castelluccio se rend en Moselle pour présenter le film au Festival Psy de Lorquin en 1980, où il remporte le deuxième prix, la Clé d’Argent. Cette récompense est vécue par l’équipe de Castelluccio comme la reconnaissance de son travail quotidien dans ce service infanto-juvénile particulièrement difficile. C’est aussi une prise de conscience pour Philippe Gandolfo, qui comprend que de nombreuses équipes soignantes utilisent comme lui l’audiovisuel dans leur travail à l’hôpital. Le Festival Psy de Lorquin joue pleinement son rôle de lieu d’échanges autour des pratiques médicales et audiovisuelles et, après cette première incursion en 1980, Philippe Gandolfo y participe durant une dizaine d’années.
| [1] Les Festival Psy de Lorquin est un festival de cinéma sur la psychiatrie et la santé mentale créé en 1977 par une équipe de pédopsychiatres de l’hôpital psychiatrique de Lorquin, en Moselle. Le festival réunit de nombreux films réalisés, entre autres, par des soignants en psychiatrie, et devient vite un point de rencontre incontournable des psychiatres et infirmiers utilisant l’outil vidéo dans leur travail. |
Une évolution rapide du matériel
L’évolution des pratiques audiovisuelles à l’hôpital de Castelluccio dépend de volontés individuelles mais surtout du matériel de prise de vue à disposition des soignants. Le studio audiovisuel, est doté, lors des premières années, d’une table de montage VCR Philips et de deux caméras reliées par câble. Ce dispositif d’enregistrement, moderne mais peu mobile, n’offre pas la possibilité au soignant-opérateur de se déplacer librement dans les services. L’hôpital n’hésite cependant pas à doter le service infanto-juvénile de nouvelles caméras quand Claude Caron en fait la demande, et le matériel est renouvelé régulièrement. L’arrivée des premières caméras VHS, plus légères, fait évoluer les pratiques audiovisuelles dans le service : elles permettent, entre autre, la captation d’images en dehors de l’hôpital.
La vidéo comme document médical
L’ouverture de la psychiatrie sur l’extérieur se traduit, dans les années 1980, par l’organisation de nombreux séjours thérapeutiques. À partir du moment où le service est doté de caméras VHS, ces séjours sont presque systématiquement filmés par les soignants encadrants. Au début, Philippe Gandolfo filme lui-même, puis les autres soignants du service s’approprient petit à petit le matériel et acquièrent leur autonomie avec les caméras. Les activités, notamment à l’hôpital de jour, sont également filmées. Il s’agit aussi bien de moments de jeux que d’ateliers musique ou de séances de psychomotricité. Ces vidéos, montées en petits films, ont plusieurs fonctions. Elles permettent, dans un premier temps, de garder des traces et constituent, dans le cas des films tournés lors des séjours, des souvenirs précieux pour les patients. Elles sont aussi des documents d’observation clinique qui permettent aux soignants d’analyser les comportements des patients hors de l’hôpital, dans un autre contexte que celui du service. Les films sont visionnés en réunion d’équipe et donnent l’occasion d’observer et de discuter ensemble le cas précis d’un patient sans pour autant avoir assisté à l’activité ou au séjour auquel l’enfant a participé. Le docteur Claude Caron instaure très vite l’intégration de ces vidéos au dossier médical du patient et leur confère ainsi le statut de document médical. Des portraits de certains patients sont tournés, notamment d’adolescents s’apprêtant à être transférés dans un service pour adultes. Ces films, en général d’une vingtaine de minutes, montrent une journée type du jeune patient et sont réalisés dans le but de le présenter à l’équipe soignante de son nouveau service et, ainsi, de faciliter son transfert. Les voix off de ces films, très descriptives, témoignent de la connaissance intime de leurs patients qu’ont les infirmiers et infirmières du service infanto-juvénile de l’hôpital de Castelluccio. Le fonds vidéo du Festival Psy de Lorquin conservé à la BnF comporte un de ces films-portraits, qui retrace la journée-type d’une jeune fille poly-handicapée du nom de Naïma[2].
| [2] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb47060676k |
La pratique audiovisuelle à l’hôpital de Castelluccio s’achève progressivement au cours des années 1990. Le studio audiovisuel est affaibli par le départ à la retraite du Docteur Caron et les soignants, qui disposent de plus en plus de leur propre matériel, sollicitent de moins en moins Philippe Gandolfo. L’infirmier-réalisateur, qui n’a qu’une quarantaine d’année, finit par changer de poste.
Un récent voyage de recherche à l’hôpital de Castelluccio a permis de recenser un peu plus de 120 titres, majoritairement réalisés entre 1979 et 1990, conservés dans le centre hospitalier et qui pourraient compléter les collections déjà présentes à la BnF. La sauvegarde de cet ensemble serait très précieuse pour l’histoire de la pédopsychiatrie dans les années 1980.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Juliette Naviaux (9 septembre 2024). Au service de psychiatrie infanto-juvénile de l’hôpital de Castelluccio (Corse), la vidéo comme pratique institutionnelle à visée thérapeutique. Carnet de recherche. Consulté le 5 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/129lg
