Charles Benoît Hase portraituré par Ludovic Lalanne

De novembre 1856 à février 1865, l’archiviste paléographe et bibliothécaire de l’Institut Ludovic Lalanne (1815-1898) dirigea La Correspondance littéraire, une revue de critique, beaux-arts, érudition, qui, dans son édition du 25 mars 1864, rendit compte du décès du conservateur des manuscrits grecs de la Bibliothèque impériale, Charles Benoît Hase (1780-1864) et où il rend hommage à celui qui aurait pu combattre en duel le voleur Guillaume Libri (1803-1869).

Le doyen d’âge de l’Académie des inscriptions, le savant helléniste M. Hase, est mort lundi dernier 21 mars, quelques semaines avant d’avoir atteint sa quatre-vingt-cinquième année. Il était né le 11 mai 1780 à Sulza, près de Naumbourg, où son père était premier pasteur. Après avoir fait ses études à Weimar et suivi les universités d’Iéna et de Helmstädt, il se décida à se livrer entièrement à la philologie et vint en 1801 à Paris. Il y fut accueilli et protégé par Dansse de Villoison qui le fit charger, par le comte de Choiseul-Gouffier, de la publication du manuscrit unique et inédit des œuvres de Jean Lydus ; cette publication, qui fut retardée jusqu’en 1823, mit dans tout son jour les connaissances paléographiques et philologiques de M. Hase. Il éditait en effet un manuscrit auquel un séjour infiniment trop prolongé au fond d’un tonneau de vin, dans la cave d’un couvent grec, avait fait subir les plus graves altérations, et il dut faire des prodiges de sagacité et de science pour arriver à restituer des pages entières mutilées et effacées. Nommé en 1824 à l’Académie des inscriptions, il devint, en 1830, professeur de langue et de littérature allemande à l’École polytechnique, et en 1832 conservateur-administrateur au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale, où il était entré comme employé en 1805. En 1812, il avait été choisi par la reine Hortense pour professeur de ses deux fils ; aussi fut-il, en 1849, nommé commandeur de la Légion d’honneur, et en 1852 professeur de grammaire comparée, chaire créée pour lui à la Faculté des lettres de Paris. Depuis 1816, il professait à l’Ecole des langues orientales vivantes la paléographie grecque et le grec moderne.

Outre des mémoires trop peu nombreux insérés soit dans les Notices et extraits de manuscrits que publie l’Académie des inscriptions, soit dans le Journal des savants, on doit à M. Hase la première édition de la chronique grecque de Léon Diacre, qu’il publia en 1819 à l’imprimerie impériale et qui est devenue très-rare, un envoi considérable d’exemplaires ayant péri dans un naufrage sur la Baltique. Il a été en outre l’un des principaux collaborateurs de la nouvelle édition du Thesaurus linguæ grœcœ, de Henri Estienne, donnée par la maison Didot. Nous avons entendu dire que M. Hase laisse un catalogue considérable des manuscrits grecs de la bibliothèque. Il serait bien à désirer que ce renseignement fût exact.

Si l’on a pu souvent reprocher à M. Hase une certaine faiblesse de caractère et une bienveillance qui lui faisait accueillir avec les mêmes démonstrations d’amitié et de politesse un ami et un inconnu, il faut dire, à son éloge, qu’il n’a jamais, de son plein gré, nui à personne, chose rare dans la carrière d’un savant, et qu’il aimait, au contraire, à aider et à obliger. Malgré sa bonté, il fut pourtant une fois sur le point d’être obligé de mettre flamberge au vent. Un jour qu’il était de service à la bibliothèque, M. Libri s’avisa de vouloir rester au cabinet des manuscrits après la fermeture des portes, pour y travailler seul à son aise et sans crainte de dérangement. M. Hase s’y opposa avec fermeté ; aussi le lendemain, le savant allemand recevait du savant italien une provocation qui n’eut et ne pouvait avoir aucune suite et qui ne fit guère d’honneur à celui qui l’avait envoyée.

Lalanne, Ludovic, « Chronique [nécrologie de K. B. Hase] », La Correspondance littéraire, 25 mars 1864, n° 5, p. [1]. Disponible sur Internet, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9642989v/f151.item>.